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Idan Segev (Israel)

La génétique perce les secrets du cerveau

Une équipe de chercheurs suisses et israéliens ont fait le pari insensé de modéliser l'activité neuronale du cerveau humain. Premiers résultats en 2015.
Notre génome a évolué très rapidement au cours du temps et c'est toujours vrai aujourd'hui. C'est pour cela que nous avons décidé de lancer un programme de recherche destiné à simuler son fonctionnement sur ordinateur. » Idan Segev est un chercheur hors normes. Outre son look de Rolling Stones décalé, il défend des projets qui sortent vraiment de l'ordinaire. Ce spécialiste des neurosciences de l'Université hébraïque de Jérusalem s'est mis en tête de créer une espèce de cerveau artificiel, construit en reliant des milliers d'ordinateurs entre eux. Face à un auditoire incrédule, ce mathématicien-biologiste ne ménage pas sa peine. Venu à Paris dans le cadre d'un colloque franco-israélien sur le cerveau, Idan Segev a présenté son projet « Blue Brain » comme s'il s'agissait d'un film de science-fiction. Le scénario commence par un pari insensé. Une équipe de chercheurs suisses et israéliens décide un beau matin de modéliser l'activité de l'inextricable réseau de neurones qui compose le cerveau humain. Une tâche colossale qui paraît hors de portée des techniques existantes. Dans un premier temps, il faudra se contenter de 10.000 processeurs branchés en parallèle simulant, ce qui se passe dans un petit échantillon de tissu cérébral. Une colonne de quelques millimètres cubes comprenant 6 couches de neurones superposées. Tout juste quelques milliers de cellules nerveuses reliées entre elles par 1 million de connexions. Les premiers résultats de ce challenge pourraient être disponibles en 2015. « C'est là que se trouve le futur des neurosciences », résume le chercheur. Mais il faudra attendre quelques dizaines d'années supplémentaires pour connaître la fin de l'histoire.

Derrière cette simulation se cache une question majeure : que se passe-t-il quand un événement imprévu change l'organisation du réseau ? C'est justement ce qui arrive quand une mutation génétique due au hasard modifie la taille ou l'organisation du système nerveux central. C'est ce qui s'est passé au fil de l'évolution. Le cerveau humain a pris du poids et ses performances n'ont cessé de progresser. « Il y a 5.800 ans, nos ancêtres ont commencé à écrire et à peindre. Ce phénomène de la découverte de l'art est arrivé d'un seul coup. Le même phénomène s'est produit pour l'acquisition du langage. » On s'en doute, cette théorie du saut quantique ne fait pas l'unanimité dans la communauté scientifique. De nombreux chercheurs penchent pour un scénario progressif, ponctué d'évolutions successives et de progrès « par petites touches ».

Un organe plastique
Malgré ces polémiques, Idan Segev n'en démord pas. « Le cerveau est un organe extrêmement plastique qui change tout le temps. Quand on lit un livre ou quand on écoute un orateur, les réseaux cérébraux se réorganisent en permanence. Une seule mutation peut entraîner des changements très rapides dans la structure neuronale. » L'encéphale de la souris est le terrain d'expérimentation préféré des neurologues. Grâce à ses 40 millions de neurones, 2.000 fois moins que les humains, ce mammifère se débrouille bien. En fait, plus que la taille du cerveau, c'est le nombre de gènes qui intrigue les scientifiques.

Avec ses 25.000 gènes, les rongeurs font pratiquement jeu égal avec les humains (voir illustration). « Comment se fait-il que des différences aussi minimes induisent des différences fonctionnelles aussi importantes », se demande Jean-Pierre Changeux, spécialiste incontournable des processus mentaux. Selon lui, l'existence de maladies monogéniques (dues à une seule mutation dans un seul gène) est une magnifique hypothèse de travail. C'est le cas de la microcéphalie, qui affecte la division cellulaire et entraîne la formation de cerveaux de petites tailles et des retards mentaux chez les humains. C'est la déficience d'une seule protéine (ASPM) qui est responsable de ce déficit.

A la naissance, le cerveau humain est très embryonnaire. « C'est le développement postnatal qui fait la différence. Le cerveau d'un nouveau-né est 5 fois plus léger qu'un cerveau adulte (1) », indique Jean-Pierre Changeux. Plus de la moitié des synapses (2) se constituent après la naissance. Ce réseau se constitue pendant les deux premières années de la vie, selon un processus de création destruction aléatoire assez mal connu. « Une liaison qui n'est pas sollicitée est détruite et, à l'inverse, une connexion utilisée est renforcée », précise le neurologue de l'Institut Pasteur.

Maladies neurodégénératives
C'est ce processus de renforcement qui permet d'acquérir des comportements culturels comme la lecture ou l'écriture. « L'activité du réseau joue un rôle critique au cours du développement », indique le chercheur. En d'autres termes, des circuits qui ne sont pas stimulés au bon moment sont éliminés. En fait, la nature considère qu'ils ne sont pas utiles et consomment de l'énergie sans aucun bénéfice pour l'organisme. On peut donc les éliminer sans nuire à la survie. A l'hôpital de la Salpétrière, à Paris, Alexis Brice travaille sur les bases génétiques des troubles neurodégénératifs et notamment la maladie de Parkinson.

La répétition d'une séquence particulière dans un gène spécifique induit la naissance plus ou moins tardive de la maladie. « Une surexpression de la protéine alpha-synucléine favorise le déclenchement des troubles et le nombre de copies détermine l'âge de démarrage », indique ce chercheur, qui dirige l'institut neurosciences, neurologie et psychiatrie de l'hôpital parisien. En Afrique du Nord, près de 40 % de certaines populations sont porteurs de la mutation. Tous ne développent pas la maladie, ce qui semble confirmer l'existence d'un gène protecteur non identifié. Ces mutations individuelles sont pourtant loin de tout expliquer. Pour Arnold Munnich, professeur de génétique à l'hôpital Necker Enfants malades à Paris et spécialiste des maladies génétiques chez l'enfant, l'engouement actuel pour les tests génétiques est une aberration dangereuse. « Les tests génétiques que l'on voit fleurir sur Internet sont une supercherie. » En fait, le pouvoir prédictif de ces analyses grossières est très limité. En revanche, ce spécialiste prédit un brillant futur à ces techniques quand elles sont bien encadrées par le monde médical. « C'est une aide au diagnostic très précieuse sans pour autant être de l'eugénisme. »

ALAIN PEREZ


(1) Un cerveau humain pèseen moyenne 1.500 grammes.(2) Il contient environ 100 milliards de neuroneset chaque neurone est reliéà d'autres neurones par 1.000et 10.000 connexions.

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