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Maurice Druon (France)

Maurice Druon, un seigneur des lettres est mort

L'ancien secrétaire perpétuel de l'Académie française est décédé à l'âge de 90 ans. Il était l'auteur du «Chant des partisans» et de la série romanesque «Les Rois maudits».

Dans son Journal, le critique Matthieu Galey fait de Maurice Druon le portrait suivant : «Superbe, solaire, heureux et portant beau. À 37 ans, voici un homme qui a su tirer profit de sa timbale Goncourt. Un contrat mirifique lui assure 800 000 francs par mois contre un certain nombre de feuilletons historiques.»

Nous sommes en 1955. Druon est alors le roi de Paris. Il le restera longtemps : écrivain, élu à l'Académie française, homme politique (ministre et député), couvert de décorations, il fut durant un demi-siècle un authentique personnage de la vie publique française.

Élu de Paris, il avait affirmé un jour : «Je possède un tiers de l'Arc de triomphe. Impossible de sortir de l'indivision.» La formule est belle. Parlait-il du XVIIe arrondissement, dont il fut le député (et qui partage l'Étoile avec le VIIIe et le XVIe) ou de lui-même ? Car Maurice Druon était amateur de capes et d'épées, de grande histoire, de personnages picaresques. Volontiers théâtral, portant canne et chapeau, il s'honorait d'une généalogie complexe et prestigieuse, posée sur plusieurs continents. Arrière-petit-neveu du poète Charles Cros, et surtout propre neveu de Joseph Kessel et pour mieux dire son fils spirituel, il avait rejoint à Londres en 1942 le général de Gaulle, un homme à sa mesure dont il fit un jour la description suivante : «Haut, droit, dans son uniforme et les leggings, il m'apparut comme un chevalier du Moyen Âge, majestueux et déterminé .»

Il y avait chez lui du capteur de gloire comme il y a des capteurs solaires. Il était revenu de la Deuxième Guerre mondiale auréolé d'un prestige aux rayons multiples : en 1939, il avait adressé au directeur de France Soir, Pierre Lazareff, un article intitulé «J'ai vingt ans et je pars». Et il tint parole. Quelques mois plus tard, il était sur la Loire aux côtés des cadets de Saumur et chargea l'ennemi avec une authentique bravoure. Replié avec sa troupe du côté de Bordeaux, il campa dans une propriété ; chez Montaigne, assurait-il, dont il put contempler à loisir la fameuse tour, pendant que la République s'écroulait. Il vécut ainsi la débâcle la plus littéraire qui soit.

Druon était ainsi, à la fois dans l'action et dans la représentation. En 1943, se trouvant à Londres avec son oncle prestigieux Jeff Kessel (Druon est le patronyme de son père adoptif), il composa un hymne, le «Chant des partisans», qui devient dans la Résistance un chant de marche, d'espoir et de bravade. «Ami, entends-tu». Une Marseillaise FFL. Ce refrain, composé par Anne Marly, mit le feu aux maquis, galvanisa les énergies

À partir de 1944, on retrouva Druon en Alsace et en Allemagne comme correspondant de guerre. Il écrivit La Dernière Brigade, inspiré par son expérience d'officier de cavalerie.
Le triomphe des «Rois maudits»
En 1948, son roman Les Grandes Familles fut couronné par le prix Goncourt. Maurice Druon devint alors une figure de premier plan de la scène intellectuelle et publique française, qu'il ne quittera jamais plus. Son atelier littéraire, dirigé par Edmonde Charles-Roux et qui utilisait le talent de fines plumes, telles celles de Matthieu Galey ou Pierre de Lacretelle, faisait peut-être sourire les bas-bleus mais rencontra un succès jamais vu depuis Alexandre Dumas. Les Rois maudits fit un triomphe et la fortune de leur auteur. Druon fut plébiscité par des millions de lecteurs. Écoutons une nouvelle fois Galey, aux premières loges pour observer le phénomène : «Entre un appel de son éditeur anglais, les confidences interminables d'une comtesse italienne - une emmerderesse me chuchote-t-il en couvrant l'appareil de sa main gauche -, les questions d'un journaliste de la radio et le rituel coup de fil chez Del Duca pour savoir où en sont les ventes aujourd'hui, J'ai vite compris que sa vie était un enfer, qu'il n'avait jamais une minute à lui, qu'il faudrait trois secrétaires au lieu de deux.»

Son œuvre est abondante, diverse. On y trouve du roman, du théâtre (il fut représenté au Français), de l'essai politique, de la biographie (Alexandre le Grand), des Mémoires. Et même du conte pour enfants : Tistou les pouces verts. Il était disert, brillant, inattendu. Galey raconte qu'il tenait à ce qu'un des épisodes des Rois maudits se passât à Avignon l'été 1327 pour la seule raison que c'est l'année où Laure a rencontré Pétrarque. Pareil détail signe un auteur.

Le mot qui résume Maurice Druon, par quelque sens qu'on le prenne, c'est l'engagement : engagement militaire quand le sort du pays le requérait, engagement politique, au service de ses idées. Cela passa, puisque tel était son tempérament, par de jolies passes d'armes, par voie de presse le plus souvent. Nommé par Pierre Messmer ministre des Affaires culturelles en 1973, il se singularisa par de courageuses prises de position contre les abus du monde culturel. Une de ses déclarations est restée célèbre : «Les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l'autre devront choisir. » Il devint la bête noire de toute une profession (on ne parlait pas encore à l'époque d'intermittents du spectacle). Les conformistes l'exécraient. Il n'en avait cure, jouant volontiers les provocateurs mais s'élevant également avec vigueur contre la féminisation abusive des titres, et plus largement contre l'appauvrissement de la langue française. Il prit mille fois part au débat public, et souvent de façon tonitruante, d'une voix de bronze, au risque de se laisser enfermer dans la caricature.

«Le Malraux de Pompidou»
Ses combats et l'âme qui les menait valaient mieux que cela. Paul Morand note dans son journal : «À l'Académie, Druon, mon voisin, et moi batifolions sur les verbes “délasser” et “délacer” ; aujourd'hui, il se réveille ministre de la Culture. C'est le Malraux de Pompidou.» On ne saurait mieux décrire la formidable énergie qui animait le personnage.

Le Figaro lui ouvrit souvent ses portes pour y accueillir ses chroniques sur le bon français, quelque tribune pour fustiger l'usage approximatif de la langue par un ministre, quelque opinion sur les sondages ou la réforme des institutions. On lui prête un mot malheureux à l'annonce de la candidature de Marguerite Yourcenar à l'Académie française en 1980, qui annonçait l'ouverture de l'institution aux femmes : «D'ici peu vous aurez quarante bonnes femmes qui tricoteront pendant les séances du dictionnaire.» Il affectionnait volontiers le rôle de gardien du Temple, que ce soit celui du gaullisme, de la France ou de l'Académie.

Ses dernières charges firent quelque bruit. Toujours l'Académie : en 2003, par une vigoureuse tribune dans Le Figaro Littéraire, il s'éleva contre l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, vidant ainsi une querelle vieille de trente ans, lorsque VGE obtint le soutien de Jacques Chirac, affaiblissant ainsi le candidat gaulliste Jacques Chaban-Delmas. Plus tard, Druon s'en prit encore à François Bayrou, s'attirant de la part de ce dernier une magnifique réplique, cinglante et enlevée, l'un et l'autre prouvant que la polémique permet souvent de donner le meilleur de soi-même. Il n'y a pas de grands hommes, il n'y a que de grandes querelles, n'est-ce pas ?

Maurice Druon avait été élu en 1966 à l'Académie française au fauteuil de Georges Duhamel. Il servit cette institution, dont il fut, durant plus de dix ans, le secrétaire perpétuel. Sa carrière exceptionnelle dissimulait une blessure, et sous l'abondance de titres et de reconnaissances qui définit sa vie, on trouvait le désir ardent de recouvrir la dépouille tragique de son père Lazare Kessel (tragiquement disparu à sa naissance) d'un linceul d'honneurs et de respectabilité.

le figaro

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